Lorsque Jamie Berthe, dans son article On Innovation and Imagination in the Work of Jean Rouch and Jean-Pierre Bekolo: Engaging an Aesthetic of Opening and Encounter (NYU), rapproche mon travail de celui de Jean Rouch, je suis d’abord surpris. Rouch, ethnographe colonial, et moi, cinéaste postcolonial ? Et pourtant, en écoutant sa présentation, je comprends ce qu’elle veut dire : ce qui nous relie, au-delà du contexte, c’est cette idée de cinéma comme acte de transformation. Chez nous, le film est un outil pour ouvrir des mondes, pour faire apparaître ce qui n’existe pas encore.Comme le cinéma, cette candidature à la mairie de Yaoundé ne cherche pas à accepter la ville telle qu’elle est, mais à l’imaginer autrement, à la fabriquer comme une fiction collective, à ouvrir un espace où les habitants sont des auteurs et acteurs de leur vie. Il s’agit d’appliquer à la politique cette « esthétique de l’ouverture et de la rencontre » que Jamie Berthe identifie dans mon travail.Avec Jean Rouch, il y a cette volonté de faire participer les sujets filmés, de brouiller les frontières entre fiction et réel, entre auteur et personnage. C’est exactement ce qu’il s’agit de faire pour Yaoundé : une ville où l’imaginaire collectif africain devient moteur de transformation, où la politique se pense comme une performance sociale et poétique.En 2005 dans Les Saignantes, je faisais une intrusion dystopique dans Yaoundé de 2025 avec un conte de mise en garde posais la question. Aujourd’hui, 20 ans après, nous ne sommes pas loin de l’horreur dont je voulais nous prémunir. Le cinéma appelle l’action politique : et si Yaoundé devenait le laboratoire d’un futur africain auto-construit ? Une ville comme œuvre d’art vivante, comme narration partagée, comme plateforme d’expérimentation sociale, technologique, culturelle et spirituelle.En somme, cette candidature Afrofuturiste n’est pas une utopie hors-sol mais plutôt une réponse concrète à un besoin profond de réinvention. Elle assume que le pouvoir peut aussi être visionnaire, que la gouvernance peut s’inspirer du cinéma, et que l’Afrique mérite plus qu’une gestion héritée du passé colonial — elle doit reconquérir les imaginaires pour affronter le réel.
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